mardi, septembre 01, 2015

Notre-Dame de France à Londres

La fresque de l'autel de Londres (Leicester square) fera couler beaucoup d'encre, si ce n'est déjà fait.
Nos amis anglo-saxons y voient une sorte de Da Cocteau Code... l'influence de Dan Brown les ayant un peu hypnotisés. Peut-être n'ont ils pas tout à fait tort. Mais on fait dire aux images ce qu'on souhaite qu'elle révèlent. Aussi les abordera-t-on par un autre biais, tout aussi fallacieux! Il suffit de regarder!


Fin 1959, Cocteau, à l'invitation de l'ambassadeur de France trace en une semaine l'ensemble: il date néanmoins l'oeuvre de 1960 ajoutant le monogramme D.D.D. (Deo Donum Dedit?)

Première étude de la fresque: on constate que la composition générale est fixée, que le M de l'autel est déjà présent. les personnages de part et d'autre de la croix vont beaucoup évoluer




L'annonciation: Gabriel annonce à Marie qu'elle est enceinte en respirant un vase de lys

La crucifixion avec le panneau fixé sur l'autel, démonté en 2003 pour découvrir la mosaïque de Boris Anrep







L'assomption: Marie est emportée au ciel par une troupe d'anges armés de trompettes


Personnages de la crucifixion


Le problème des 3 Marie: Selon la tradition catholique, les trois Maries auraient débarqué en Provence, d'où le pèlerinage des Saintes-Maries de la Mer: elles seraient Marie-Madeleine, Marie Salomé (éponyme d'une sœur du Christ) et Marie Jacobé (demi-sœur de la Vierge, épouse de Cléophas, demi-frère de Joseph). On voit qu'entre les dessin préparatoire et le dessin final, Cocteau est revenu à une figure plus discrète qui se détourne de la croix. La femme qui pleure des larmes de sang serait bien Marie-Madeleine "épouse du Christ" elle-même Notre-Dame des Français comme le signalait le M de l'autel. Les évangiles canoniques ne mentionnent que deux Maries, Marie de Magdala et Marie mère de Jacques (qui pourrait selon les sources être soit Marie Salomé, soit la mère du christ). C'est dans l'évangile gnostique apocryphe de Philippe que résiderait la source qui identifie les trois Maries comme la sœur, la mère et compagne du Christ. Encore faut-il pour adhérer à cette théorie reconnaître dans la tête aux yeux exorbité une figure féminine: le voile qui lui couvre la tête pourrait aussi bien en faire par exemple un Lazare, chargé d'annoncer la possibilité de la résurrection (et que la légende provençale, confondant Marie de Magdala et Marie de Béthanie, comme c'était la thèse officielle avant Vatican II, place dans la barque des trois Maries, pour en faire même le premier évêque de Marseille).
D'un point de vue graphique les voiles confondues des deux femmes rappellent les Bacchantes de Santo-Sospir.
 

A gauche de la Croix, se tient Jean, le seul des douze apôtres assistant à la crucifixion, celui que Jésus est supposé avoir "donné pour fils" à sa mère:

 

C'est sous ce disciple que Cocteau, autre Jean, place son autoportrait. La figure, féminisée (répondant à celle placée de face au milieu des Maries) paraît empruntée à Mantegna comme le prouvent les deux lithographies suivantes:



Lithographie d'après Mantegna pour la figure de Jean, où Cocteau se représente en autoportrait comme dans la fresque de Londres.

Le personnage vert, le spectateur principal a été pris pour le Christ lui-même, celui qui est "manquant" dans la fresque où l'on ne voit que ses pieds. Il est tentant de voir une allusion Gnostique, comme dans l'apocryphe des Actes de Jean: "Et quand il fut crucifié le vendredi à la sixième heure, l'obscurité se fit sur toute la terre. Et le seigneur se tint au milieu de ka grotte et l'illuminant il dit:"Jean, devant la foule de Jerusalem je suis crucifié et percé de lances, on me donne à boire des éponges chargées de vinaigre. Mais c'est à toi que je parle et tu entends ce que je te dis..."

Malheureusement cette thèse est battue en brèche par les études qui désignent explicitement la figure comme étant celle de Joseph d'Arimathie, ce qui reste une allusion à la résurrection, puisque c'est le personnage qui mit le Christ au tombeau


Symboles inexpliqués:

La rose au pied de la croix est évidemment le plus frappant, en matière de simple rébus on y lit Rose-Croix, société secrète plus ou moins parente de la maçonnerie, dont Satie fut le musicien attitré (dans la version du Sar Péladan) et dont Cocteau aurait pu épouser certaines thèses, notamment celles qui voulaient faire de la sexualité une pratique mystique et magique. S'ajoute à cela la représentation du clou unique sur les deux pieds, souvent considéré comme une dérive manichéenne répandue par les hérétiques albigeois.




En matière de charade, la lecture "Christ rose" en anglais, est aussi une façon de souligner le thème de la résurrection, sans même aller plonger dans le Cantique des Cantiques ou la bien-aimée dit: "Je suis la rose de Sharon".
Il faudrait évidemment épiloguer la fonction de la rose dans La Belle et la Bête (de plus intelligents que nous s'y pencheront).



Certains se sont amusé à compter les points des dés, ils arrivent à 58, 5+8=13, treizième lettre de l'alphabet, toujours le M





Plus difficile à interpréter est la présence sur le bouclier du soldat romain non de l'aigle qui devrait s'y trouver mais d'un faucon qui semble posé sur l'épaule du peintre. Voila qui nous ramène aux origines symboliques égyptiennes des mouvements maçonniques, le faucon étant à la fois un des hiéroglyphes désignant Dieu et le symbole d'Horus, que les cabalistes transcrivaient ainsi:

 

On signalera seulement qu'en 1959, Cocteau représente Eve comme tenant sur son poing un faucon autour duquel s'enroule le serpent, le tout sous un grand soleil méditerranéen.





La fresque après restauration protégée par un demi-cercle de panneaux de plexiglas afin d'éviter les "interventions". En effet le soleil noir (Sol Niger, outre l'allusion à l'éclipse qui assombrit Jérusalem, désigne également la première étape du Magnum Opus des alchimistes) avait été recouvert de peinture argentée, et contresignée par son "correcteur"